Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre les gros jambages de la membrure dont le goudron se fondait à la chaleur, les passagers silencieux baissaient la tête et fermaient les yeux à l’éclat du soleil frappant sur la mer plate comme un miroir.

Un homme à cheveux blancs dormait par terre à mes pieds ; un gendarme suait sous son tricorne, deux soldats avaient ôté leurs sacs et s’étaient couchés dessus. Près du beaupré, le mousse regardait dans le foc et sifflait pour appeler le vent ; debout, à l’arrière, le patron faisait tourner la barre.

Le vent ne venait pas. On abattit les voiles qui descendirent tout doucement en faisant sonner le fer des rocambots et affaissèrent sur les bancs leur draperie lourde ; puis chaque matelot défit sa veste, la serra sous l’avant, et tous alors recommencèrent, en poussant de la poitrine et des bras, à mouvoir les immenses avirons qui se ployaient dans leur longueur.

[1]L’air était d’une transparence bleuâtre, sa lumière crue enveloppant tout, frappant tout, pénétrait jusque dans leurs pores les vieux bois gris de la barque, les fils épais de la voile, la peau des hommes grelottante de sueur ; ils haletaient d’accord, on entendait à la fois leur poitrine respirer et les avirons tomber dans l’eau.

Après chaque mouvement de tous ces bras qui se dépliaient et s’abaissaient, une traction sourde

  1. Inédit, pages 116 à 119.