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le ciel bleu ; des tambourins résonnaient, des voix chantaient ; tout cela était très joyeux et d’une extrême douceur.

Nous avions, en venant là, vu un Carragheuss ; il avait une bosse et une espèce de costume espagnol, les Arabes se ruent pour le voir : « Barra ! barra ! ».

Avec M. de Kraff, j’en vois un autre : celui-ci est mieux. Dans une salle étroite et longue, et si pleine de monde qu’on y étouffait, les Arabes tassés sur deux bancs, en haut du théâtre, un homme qui faisait des paniers, et Achmet, le domestique de M. de Kraff, qui y était monté à l’aide d’un perchoir. Il ne paraissait encore rien derrière le transparent. Un homme, entre les deux bancs, dans l’étroit passage qu’ils laissent, marchait en cadence en relevant très haut les genoux, ou bien dansait sans les remuer, agitant le bassin à la mode égyptienne (mais avec quelle infériorité !). Ce qu’il y avait de beau, c’était les trois musiciens qui, de temps à autre et à intervalles réguliers, reprenaient ce qu’il disait, ou mieux réfléchissaient tout haut à la façon du chœur ; cela était très dramatique et il me sembla que j’avais compris. Quant au Carragheuss, son pénis ressemblait plutôt à une poutre ; ça finissait par n’être plus indécent. Il y en a plusieurs, Carragheuss ; je crois le type en décadence. Il s’agit seulement de montrer le plus possible de phallus. Le plus grand avait un grelot qui, à chaque mouvement de reins, sonnait ; cela faisait beaucoup rire ! Quel triste spectacle pour un homme de goût ! et pour un monsieur à principes !!!

Vu des ombres chinoises déplorables dans le bouge d’un Maltais, même quartier.