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ÉGYPTE.

nous avons regardé avec attention une jeune et svelte créature qui portait sur sa capote de paille d’Italie un long voile vert.

Sous son caraco de soie, elle avait une petite redingote d’homme à collet de velours, avec des poches sur les côtés dans lesquelles elle mettait ses mains ; boutonnée sur la poitrine par deux rangs de boutons, cela lui serrait au corps, en lui dessinant les hanches, et de là s’en allaient ensuite les plis nombreux de sa robe qui remuaient contre ses genoux quand soufflait le vent. Elle était gantée de gants noirs très justes et se tenait la plupart du temps appuyée sur le bastingage à regarder les rives.

Il y avait aussi, sur un pliant, une femme hors d’âge, qui était sa mère, sa tante, une amie de la famille, sa gouvernante, sa femme de chambre ou sa confidente ; puis dans les alentours, les abordant, les quittant, allant à d’autres, revenant près d’elles, un petit beau jeune homme à moustaches en croc, qui fumait des cigarettes, parlait d’une voix flûtée, jouait avec ses breloques et se donnait des airs de prince. Parmi tout ce qui ballottait suspendu à la chaînette de son gilet, il prit un médaillon et je l’entendis qui disait tout haut à ses deux voisines : « Ce sont des cheveux de la baronne ». Ô exigences de la galerie !!! Bientôt cependant il endossa par-dessus sa toilette une sorte de paillasson à longs poils, usé, brossé, encore convenable et dénotant de tous points chez son propriétaire des habitudes inavouées d’économie clandestine. Si l’homme entier, — voix, gestes, discours, cravate, botte et badine, — se montrait avec complaisance, si tout cela était arrangé pour le public