Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
NOTES DE VOYAGES.

enthousiasme ; manque de chic. La singerie de Paris est partout, en voyage, quelque chose qui fait lever les épaules de pitié.

Statue de Philibert-Emmanuel, superbe comme mouvement, le cheval surtout jusqu’aux glands de son harnais ; l’homme trop petit pour la bête.

Le garçon de place de l’hôtel : quatre ans dans la légion étrangère en Afrique ; Français, ennemi des jésuites comme gardien de la morale publique…

Palais Balbi, à Gênes. — La Tentation de saint Antoine, de Breughel[1]. — Au fond, des deux côtés, sur chacune des collines, deux têtes monstrueuses de diables, moitié vivants, moitié montagne. Au bas, à gauche, saint Antoine entre trois femmes, et détournant la tête pour éviter leurs caresses ; elles sont nues, blanches, elles sourient et vont l’envelopper de leurs bras. En face du spectateur, tout à fait au bas du tableau, la Gourmandise, nue jusqu’à la ceinture, maigre, la tête ornée d’ornements rouges et verts, figure triste, cou démesurément long et tendu comme celui d’une grue, faisant une courbe vers la nuque, clavicules saillantes, lui présente un plat chargé de mets coloriés.

Homme à cheval, dans un tonneau ; têtes sortant du ventre des animaux ; grenouilles à bras et sautant sur les terrains ; homme à nez rouge sur un cheval difforme, entouré de diables ; dragon ailé qui plane, tout semble sur le même plan. Ensemble fourmillant, grouillant et ricanant d’une façon

  1. C’est ce tableau qui donna à Flaubert l’idée d’écrire la Tentation de saint Antoine (voir Correspondance, I, p. 162).