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dernière fois, et tous ceux qu’il a perdus : ç’a été un des moments les plus graves et les plus profondément poétiques de ma vie. Je me rappellerai longtemps sa grande robe noire se détachant dans le clair de lune, quand il était agenouillé à faire sa prière, et ses façons si maternelles auprès du malade, sa patience angélique à faire bouillir une tasse de thé avec des brins de paille, pour Sassetti. Nous dormons environ deux heures à des reprises différentes, les puces, l’inquiétude et l’envie de partir matin nous tenant éveillés.

À 2 heures un quart nous nous remettons en route. Au bout d’une heure, nous arrivons dans ce qu’on appelle la Plaine et qui n’est qu’une succession de petites montées et descentes. Un long champ d’oliviers, vieux et le tronc rugueux. La lune pâlit, le jour va paraître. Un ruisseau à gauche de la route, je descends de cheval et je me suis lavé la figure et les mains avec délices. Un troupeau d’ânes, que le Père Amaya bûche à grands coups de courbach ; je crois que, lorsque les hommes ne lui font pas place, il doit les traiter de la même façon. De grands roseaux, que nous longeons par un sentier pratiqué au flanc d’un coteau. Tout à coup on aperçoit Tripoli, ville blanche, étirée en long dans la plaine ; la Marine, au bout, assise au bord de la mer.

Tripoli. — Nous glissons longtemps dans les rues de Tripoli, quelques enfants saluent le Père Amaya et marchent devant nous, surtout un jeune môme à yeux noirs magnifiques, pâle, nez un peu épaté par le bout, une mèche de cheveux sur la tête, un simple takieh pour toute coiffure. Au couvent des Carmes je ne trouve pas Maxime parti à ma ren-