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allant pas à pas, se découpant sur le bleu ; il avait l’air de monter dans le ciel.

La terre a succédé aux pierres, puis c’est le calcaire ; je ne sais comment la lumière s’arrangeait, mais, frappant sur les parois blanchâtres de la route, ça faisait du rose, de grandes nappes indistinctes, plus vives à la base, et qui allaient s’apâlissant à mesure qu’elles montaient sur la roche. Il y a eu un moment où tout m’a semblé palpiter dans une atmosphère rose. Le chemin tournait, le soleil frappait sur nous, j’entendais derrière moi les galopades de nos sheiks qui faisaient des fantasias. Ils ont passé à mes côtés, je me suis lancé comme eux. De temps à autre, entre les gorges, apparaît dans un déchirement de la montagne la nappe outre-mer de la mer Morte ; à de certaines places, la terre grisâtre, tachetée régulièrement par des bouquets d’herbes roussies, ressemble à quelque grande peau de léopard mouchetée d’or ; ailleurs, entre le fond roux des herbes (ce n’est pas de l’herbe qui pousse, mais de la paille), taches grises de la terre qui se voit par intervalles.

Avant de débusquer sur la plaine de Jéricho, la route se resserre étrangement, couloir sinueux entre deux murailles gigantesques ; nous rampons sur le flanc de celle de droite.

Tout au fond de cette vallée de Habi-Moussa se traîne une petite ligne de verdure à la place où coule l’hiver le torrent, à sec maintenant ; ça fait l’effet d’une petite couleuvre verte rampant au pied des grands rochers. Du haut de la montagne de Habi-Moussa : grande plaine, sans limites à droite ni à gauche, avec la verdure des arbres pi-