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Dîner abondant, eau exécrable ! Moi qui m’étais promis de boire à Kosséir ! tout est infesté de cette épouvantable odeur de savon et d’œuf pourri, jusqu’aux latrines, qui sentent l’eau de Kosséir et non autre chose ! On a beau y mettre un peu de raki ; ça ne la corrige pas. Le fils de M. Élias ne dîne pas avec nous : c’est un jeune homme d’une vingtaine d’années, l’air timide et dévôt, avec un nez pointu et une bouche pincée. Nous sommes servis par un jeune eunuque de 18 ans environ, Saïd, en veste à raies de couleur, tête nue, moutonné, un petit poignard passé dans sa ceinture façon cachemire, bras nus, grosse bague d’argent au doigt, souliers rouges pointus. Sa voix douce, quand, nous présentant le plateau de café de la main droite, il mettait le poing gauche sur la hanche en disant « Fadda ». Il a pour compagnon un long imbécile d’Abdallah, déguenillé, et dont l’intelligence n’est pas suffisante pour parvenir à moucher les chandelles. Comme j’ai bien dormi la nuit, sur le divan du père Élias ! quelle délicieuse chose de reposer ses membres !

Mercredi 22. — Promenade dans la ville. Les cafés sont de grands khans ou mieux okkels ; ils sont vides dans le jour ; les chichehs de la Mecque reluisent. Nous visitons la barque où doivent s’embarquer ces messieurs ; nous passons sous les amarres (d’écorces de palmier) de toutes celles qui les précèdent ; deux enfants, debout, nous font aller en passant de câble en câble, ils chantent. La barque de la mer Rouge est effrayante, ça sent la peste, on a peur d’y mettre le pied ; je remercie Dieu de n’être pas obligé de