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par le licol. On va à pied pendant quelque temps, à cause de la difficulté de la route ; elle est semée de carcasses de chameaux avec la peau, et très proprement évidés en dedans. Ce sont les rats qui font cette besogne ; la peau intacte, rongée en dedans, fine comme une pelure d’oignon, desséchée au soleil et tendue comme un tambour, recouvre le squelette gratté. Innombrables trous à rats dans le désert.

La route se rélargit, nous passons près d’un khan détruit, Okkel-Zarga (le khan violet). Pas un bruit, chaleur dévorante, les mains vous picotent comme dans une étuve sèche, le carbone miroite à vingt pas de nous, ça fume à trois pieds du sol environ. À 11 heures trois quarts nous nous mettons à l’abri sous un grand rocher en granit rose, où se tenait au frais une compagnie de perdrix du désert, l’endroit se nomme Abou-Ziram (le père des jarres). Nous dévorons une pastèque que Joseph a achetée le matin à Bir-el-Ceb ; il faut laisser nos poulets, ils sont pourris. La veille, à la même heure, il nous avait fallu jeter notre gigot ; à peine était-il tombé par terre qu’un gypaète s’est abattu dessus et s’est mis à le dévorer. Nous rencontrons toute la journée beaucoup de perdrix.

Le soir le chameau de Joseph s’emporte, je le vois passer à ma gauche, épouvanté et poussant des cris ; sa veste blanche se perd dans la nuit ; nous sautons pour courir après lui, d’autant que nos chameaux font mine d’imiter le sien. Il revient à nous à pied. Nous passons des ficelles dans les narines de nos dromadaires, qui sont en tremblement et en fureur ; nous nous arrêtons prudemment et nous couchons dans un fort bel endroit