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C’est alors que, jouissant de ces choses, au moment où je regardais trois plis de vagues qui se courbaient derrière nous sous le vent, j’ai senti monter du fond de moi un sentiment de bonheur solennel qui allait à la rencontre de ce spectacle, et j’ai remercié Dieu dans mon cœur de m’avoir fait apte à jouir de cette manière ; je me sentais fortuné par la pensée, quoiqu’il me semblât pourtant ne penser à rien, c’était une volupté intime de tout mon être.

Esneh[1]. — Mercredi 6. Arrivés à Esneh vers 9 heures du matin. Près de la berge quelques palmiers ; un peu plus loin on descend légèrement et l’on remonte par un mouvement de terrain ; là se trouve le quartier des Nubiens.

Bambeh. — Pendant que nous déjeunions, une almée, maigre et les tempes étroites, les yeux peints d’antimoine et ayant un voile passé par-dessus sa tête, et qu’elle tenait avec ses coudes, est venue causer avec Joseph. Elle était suivie d’un mouton familier, dont la laine était peinte par places en henné jaune, le nez muselé par une bande de velours noir ; très touffu, les pieds comme ceux d’un mouton factice, et ne quittant pas sa maîtresse.

Nous descendons à terre. La ville, comme toutes les autres, en boue sèche, moins grande que Kesneh, les bazars moins riches. Sur la place, café avec des Arnautes. La poste y réside, c’est-à-dire l’effendi y vient faire sa besogne. — École au-dessus d’une mosquée, où nous allons pour acheter de l’encre. — Première visite au temple, où

  1. Voir Correspondance, I, p. 381.