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Dimanche 16 décembre 1849.

En remontant de déjeuner, j’ai entendu le cri aigre de L… qui se mourait. — J’ai lu sur mon divan les notes de Bekir-bey sur l’Arabie, il est 3 heures et demie. — À 5 heures je suis descendu dans le jardin fumer une pipe. Mme X… était morte ; en passant sur l’escalier, j’ai entendu les cris de désespoir de sa fille. Autour du bassin, près du petit singe attaché au mimosa, il y avait un Franciscain qui m’a salué, nous nous sommes regardés et il a dit : « Il y a encore un peu de verdoure », et il s’en est allé. Les enfants de l’école du Juif jouaient dans le jardin, deux petites filles et trois garçons, dont l’un faisait crier une mécanique qui fait tourner des soldats. Le docteur Ruppel est venu, a donné une noix au singe qui a sauté sur lui : « Ah ! cochon ! ah ! cochon ! ah ! petit cochon ! », a-t-il dit, puis il s’en est allé faire ses courses en ville, car il avait son chapeau. Dans la cour, Bouvaret, en chemise et fumant son cigare, m’a dit : « c’est fini ». On va enlever la mère et la fille qui se cramponne à elle : elle crie maintenant à tue-tête, ce sont presque des aboiements.

C’était une Anglaise élevée à Paris ; dans le quartier où elle vivait elle a fait la connaissance d’un jeune musulman, maintenant caïmakan, et s’est faite musulmane. Les prêtres musulmans et les catholiques se disputent son enterrement ; elle s’est confessée ce matin, mais depuis la confession elle est revenue à Mahomet et va être enterrée à la turque.

4 heures moins le quart.