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ses monticules de sable, comme un autre océan d’un violet sombre dont chaque vague eût été pétrifiée. Cependant le soleil montait derrière la chaîne arabique, le brouillard se déchirait en grandes gazes légères, les prairies coupées de canaux étaient comme des tapis verts, arabesques de galon. En résumé, trois couleurs, un immense vert à mes pieds au premier plan, le ciel blond rouge, vermeil usé ; derrière et à droite, étendue mamelonnée d’un ton roussi et chatoyant, minarets du Caire, canges qui passent au loin, touffes de palmiers.

Enfin le ciel a une bande d’orange du côté où va se lever le soleil. Tout ce qui est entre l’horizon et nous est tout blanc et semble un océan ; cela se retire et monte. Le soleil, paraît-il, va vite et monte par-dessus les nuages oblongs qui semblent du duvet d’un flou inexprimable ; les arbres des bouquets de village (Giseh, Matarieh, Bédrachein etc.) semblent dans le ciel même, car toute la perspective se trouve perpendiculaire, comme je l’ai déjà vue une fois du port de la Picade dans les Pyrénées ; derrière nous, quand nous nous retournons, c’est le désert, vagues de sable violettes : c’est un océan violet.

Le jour augmente, il a deux choses : le désert sec derrière nous, et devant nous une immense verdure charmante, sillonnée de canaux infinis, tachetée çà et là de touffes de palmiers ; puis au fond, un peu sur la gauche, les minarets du Caire et surtout la mosquée de Méhémet-Ali (imitant celle de Sainte-Sophie) dominant les autres. (Je trouve du côté du soleil levant : Humbert frotteur, cloué sur la pierre avec des épingles. État pathétique