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beaux qu’attire l’odeur des morts ; la vue d’un ecclésiastique lui était personnellement désagréable, car la soutane le faisait rêver au linceul, et il exécrait l’une un peu par épouvante de l’autre. »

Notre vieil ami, celui qui nous a prêté le catéchisme, était fort heureux de ce passage ; il nous disait : « C’est d’une vérité frappante ; c’est bien le portrait du prêtrophobe que « la soutane fait rêver au linceul et qui exècre l’une un peu par épouvante de l’autre ». C’était un impie, et il exécrait la soutane, un peu par impiété peut-être, mais beaucoup plus parce qu’elle le faisait rêver au linceul.

Permettez-moi de résumer tout ceci.

Je défends un homme qui, s’il avait rencontré une critique littéraire sur la forme de son livre, sur quelques expressions, sur trop de détails, sur un point ou sur un autre, aurait accepté cette critique littéraire du meilleur cœur du monde. Mais se voir accusé d’outrage à la morale et à la religion ! M. Flaubert n’en revient pas ; et il proteste ici devant vous avec tout l’étonnement et toute l’énergie dont il est capable contre une telle accusation.

Vous n’êtes pas de ceux qui condamnent des livres sur quelques lignes, vous êtes de ceux qui jugent avant tout la pensée, les moyens de mise en œuvre, et qui vous poserez cette question par laquelle j’ai commencé ma plaidoirie, et par laquelle je la finis : La lecture d’un tel livre donne-t-elle l’amour du vice, inspire-t-elle l’horreur du vice ? L’expiation si terrible de la faute ne pousse-t-elle pas, n’excite-t-elle pas à la vertu ? La lecture de ce livre ne peut pas produire sur vous une impression autre que celle qu’elle a produite sur nous, à savoir : que ce livre est excellent dans son ensemble, et que les détails en sont irréprochables. Toute la littérature classique nous autorisait à des peintures et à des scènes bien autres que celles que nous nous sommes permises. Nous aurions pu, sous ce rapport, la prendre pour modèle, nous ne l’avons pas fait ; nous nous sommes imposé une sobriété dont vous nous tiendrez compte. Que s’il était possible que par un mot ou par un autre, M. Flaubert eût dépassé la mesure qu’il s’était imposée, je n’aurais pas seulement à vous rappeler que c’est une première œuvre, mais j’aurais à vous dire qu’alors même qu’il se serait trompé, son erreur serait sans dommage pour la morale publique. Et le faisant venir en police correctionnelle, — lui, que vous connaissez maintenant un peu par son livre, lui que vous aimez déjà un peu, j’en suis sûr, et que vous aimeriez davantage si vous le connaissiez davantage, — il est bien assez, il est déjà trop cruellement puni. À vous maintenant de statuer. Vous avez jugé le livre dans son ensemble et dans ses détails ; il n’est pas possible que vous hésitiez !