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hommage à la morale publique, qu’il n’y a rien de plus moral que cela ; je puis dire que dans ce livre le vice de l’éducation est animé, qu’il est pris dans le vrai, dans la chair vivante de notre société, qu’à chaque trait l’auteur nous pose cette question : « As-tu fait ce que tu devais pour l’éducation de tes filles ? La religion que tu leur as donnée, est-elle celle qui peut les soutenir dans les orages de la vie, ou n’est-elle qu’un amas de superstitions charnelles, qui laissent sans appui quand la tempête gronde ? Leur as-tu enseigné que la vie n’est pas la réalisation de rêves chimériques, que c’est quelque chose de prosaïque dont il faut s’accommoder. Leur as-tu enseigné cela, toi ? As-tu fait ce que tu devais pour leur bonheur ? Leur as-tu dit : Pauvres enfants, hors de la route que je vous indique, dans les plaisirs que vous poursuivez, vous n’avez que le dégoût qui vous attend, l’abandon de la maison, le trouble, le désordre, la dilapidation, les convulsions, la saisie… » Et vous voyez si quelque chose manque au tableau, l’huissier est là, là aussi est le juif qui a vendu pour satisfaire les caprices de cette femme, les meubles sont saisis, la vente va avoir lieu ; et le mari ignore tout encore. Il ne reste plus à la malheureuse qu’à mourir !

Mais, dit le ministère public, sa mort est volontaire, cette femme meurt à son heure.

Est-ce qu’elle pouvait vivre ? Est-ce qu’elle n’était pas condamnée ? Est-ce qu’elle n’avait pas épuisé le dernier degré de la honte et de la bassesse ?

Oui, sur nos scènes, on montre les femmes qui ont dévié, gracieuses, souriantes, heureuses, et je ne veux pas dire ce qu’elles ont fait. Questum corpore fecerunt. Je me borne à dire ceci. Quand on nous les montre heureuses, charmantes, enveloppées de mousseline, présentant une main gracieuse à des comtes, à des marquis, à des ducs, que souvent elles répondent elles-mêmes au nom de marquises ou de duchesses ; voilà ce que vous appelez respecter la morale publique. Et celui qui vous présente la femme adultère mourant honteusement, celui-là commet un outrage à la morale publique !

Tenez, je ne veux pas dire que ce n’est pas votre pensée que vous avez exprimée, puisque vous l’avez exprimée, mais vous avez cédé à une grande préoccupation. Non, ce n’est pas vous, le mari, le père de famille, l’homme qui est là, ce n’est pas vous, ce n’est pas possible ; ce n’est pas vous qui, sans la préoccupation du réquisitoire et d’une idée préconçue, seriez venu dire que M. Flaubert est l’auteur d’un mauvais livre ! Oui, abandonné à vos inspirations, votre appréciation serait la même que la mienne, je ne parle pas du point de vue littéraire, nous ne pouvons pas différer vous et moi à cet égard, mais au point de vue de la morale et du sentiment religieux tel que vous l’entendez, tel que je l’entends.