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dans la première scène, Mme Bovary trouve une sorte de plaisir, de joie à avoir brisé sa prison, et rentre chez elle en disant : « J’ai un amant. » Vous croyez que ce n’est pas là le premier cri du cœur humain ! La preuve est entre vous et moi. Mais il fallait regarder un peu plus loin, et vous auriez vu que, si le premier moment, le premier instant de cette chute excite chez cette femme une sorte de transport de joie, de délire, à quelques lignes plus loin la déception arrive, et, suivant l’expression de l’auteur, elle semble à ses propres yeux humiliée.

Oui, la déception, la douleur, le remords lui arrivent à l’instant même. L’homme auquel elle s’était confiée, livrée, ne l’avait prise que pour s’en servir un instant comme d’un jouet ; le remords la ronge, la déchire. Ce qui vous a choqué, ç’a été d’entendre appeler cela les désillusions de l’adultère ; vous auriez mieux aimé les souillures chez un écrivain qui faisait poser cette femme, laquelle n’ayant pas compris le mariage, se sentait souillée par le contact d’un mari ; laquelle, ayant cherché ailleurs son idéal, avait trouvé les désillusions de l’adultère. Ce mot vous a choqué ; au lieu des désillusions, vous auriez voulu les souillures de l’adultère. Le tribunal jugera. Quant à moi, si j’avais à faire poser le même personnage, je lui dirais : Pauvre femme ! si vous croyez que les baisers de votre mari sont quelque chose de monotone, d’ennuyeux, si vous n’y trouvez — c’est le mot qui a été signalé — que les platitudes du mariage, s’il vous semble voir une souillure dans cette union à laquelle l’amour n’a pas présidé, prenez-y garde, vos rêves sont une illusion, et vous serez un jour, cruellement détrompée. Celui qui crie bien fort, messieurs, qui se sert du mot souillure pour exprimer ce que nous avons appelé désillusion, celui-là dit un mot vrai, mais vague qui n’apprend rien à l’intelligence. J’aime mieux celui qui ne crie pas fort, qui ne prononce pas le mot de souillure, mais qui avertit la femme de la déception, de la désillusion, qui lui dit : Là où vous croyez trouver l’amour, vous ne trouverez que le libertinage ; là où vous croyez trouver le bonheur, vous ne trouverez que des amertumes. Un mari qui va tranquillement à ses affaires, qui vous embrasse, qui met son bonnet de coton et mange la soupe avec vous, est un mari prosaïque qui vous révolte ; vous aspirez à un homme qui vous aime, qui vous idolâtre, pauvre enfant ! cet homme sera un libertin, qui vous aura prise une minute pour jouer avec vous. L’illusion se sera produite la première fois, peut-être la seconde ; vous serez rentrée chez vous enjouée, en chantant la chanson de l’adultère : « J’ai un amant ! » la troisième fois vous n’aurez pas besoin d’arriver jusqu’à lui, la désillusion sera venue. Cet homme que vous aviez rêvé, aura perdu tout son prestige ; vous aurez retrouvé dans l’amour toutes les platitudes du mariage ; et vous les aurez retrouvées avec le mépris, le dédain, le dégoût et le remords poignant.