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rectionnelle pour outrage à la morale et à la religion, son fils est l’ami de mes enfants, comme j’étais l’ami de son père. Je sais sa pensée, je sais ses intentions, et l’avocat a ici le droit de se poser comme la caution personnelle de son client.

Messieurs, un grand nom et de grands souvenirs obligent. Les enfants de M. Flaubert ne lui ont pas failli. Ils étaient trois, deux fils et une fille, morte à vingt et un ans. L’aîné a été jugé digne de succéder à son père ; et c’est lui qui aujourd’hui remplit déjà depuis plusieurs années la mission que son père a remplie pendant trente ans. Le plus jeune, le voici ; il est à votre barre. En leur laissant une fortune considérable et un grand nom, leur père leur a laissé le besoin d’être des hommes d’intelligence et de cœur, des hommes utiles. Le frère de mon client s’est lancé dans une carrière où les services rendus sont de chaque jour. Celui-ci a dévoué sa vie à l’étude, aux lettres, et l’ouvrage que l’on poursuit en ce moment devant vous est son premier ouvrage. Ce premier ouvrage, messieurs, qui provoque les passions, au dire de M. l’Avocat impérial, est le résultat de longues études, de longues méditations. M. Gustave Flaubert est un homme d’un caractère sérieux, porté par sa nature aux choses graves, aux choses tristes. Ce n’est pas l’homme que le ministère public, avec quinze ou vingt lignes mordues çà et là, est venu vous présenter comme un faiseur de tableaux lascifs. Non ; il y a dans sa nature, je le répète, tout ce qu’on peut imaginer au monde de plus grave, de plus sérieux, mais en même temps de plus triste. Son livre, en rétablissant seulement une phrase, en mettant à côté des quelques lignes citées, les quelques lignes qui précèdent et qui suivent, reprendra bientôt devant vous sa véritable couleur, en même temps qu’il fera connaître les intentions de l’auteur. Et, de la parole trop habile que vous avez entendue, il ne restera dans vos souvenirs qu’un sentiment d’admiration profonde pour un talent qui peut tout transformer.

Je vous ai dit que M. Gustave Flaubert était un homme sérieux et grave. Ses études, conformes à la nature de son esprit, ont été sérieuses et larges. Elles ont embrassé non seulement toutes les branches de la littérature, mais le droit. M. Flaubert est un homme qui ne s’est pas contenté des observations que pouvait lui fournir le milieu où il a vécu ; il a interrogé d’autres milieux ;

Qui mores multorum vidit et urbes.

Après la mort de son père et ses études de collège, il a visité l’Italie, et, de 1848 à 1852, parcouru ces contrées de l’Orient, l’Égypte, la Palestine, l’Asie Mineure, dans lesquelles, sans doute, l’homme qui les parcourt en y apportant une grande intelligence peut acquérir quelque chose d’élevé, de poétique, ces couleurs, ce prestige de style que le ministère public faisait tout à l’heure ressortir, pour établir le délit qu’il nous impute.