Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/562

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trastes et par conséquent de la composition. Tous ses personnages ont le même ton, le même habit et la même physionomie morale. Parmi les sept ou huit individus qui se démènent dans le cadre de son histoire, comment n’a-t-il pas songé à en créer un seul qui fût vraiment sympathique ? Mme Bovary, nous la connaissons ; Bovary le père est un sacripant ; le pharmacien Homais, une caricature très réussie ; M. Rodolphe, un viveur vulgaire ; M. Léon, un amoureux de l’ancien Gymnase ; quant à Charles Bovary, ce mari tranquille, amoureux de sa femme, il m’intéresserait et ses malheurs immérités m’arracheraient des larmes, si l’auteur, par une inexplicable maladresse, n’avait pris plaisir à en faire, dès le début, une de ces vulgaires effigies dont les traits ne peuvent se fixer dans aucune mémoire. Là cependant était tout l’intérêt du drame. Un peu plus d’intelligence dans le cerveau de cet homme, un peu moins de vulgarité dans ses manières, et Charles Bovary mourant, foudroyé par la douleur, restait dans le souvenir du lecteur comme le martyr du foyer domestique, comme un ami dont on se souvient toujours.

Je me hâte d’ajouter qu’à côté de grands défauts, ce livre a de grandes qualités. On ne le lit pas sans de fréquentes révoltes, mais on va jusqu’au bout, captivé par le charme du style, la vigueur de l’expression, la grâce des détails et la belle orientation de l’œuvre. Parfois une phrase qu’on rencontre vous secoue comme le cahot inattendu d’une diligence, mais c’est précisément ce cahot qui vous tient en éveil.

Il arrive souvent que, dans les voitures mieux suspendues que celle de M. Flaubert, et où l’on ne sent ni cahot, ni secousses, on s’endort presque aussitôt après le départ.

C’est précisément ce qui m’est arrivé en descendant de la diligence de M. Flaubert. J’avais été si secoué dans ce véhicule traîné par des chevaux sauvages, que je me jetai aussitôt dans une berline académique.

Revue des Deux-Mondes, 1er mai 1857 (M. Ch. de Mazade).

La grande nouveauté est Madame Bovary, œuvre de M. Gustave Flaubert, écrivain de Rouen, puisqu’il est avéré que nous avons aujourd’hui une école de Rouen, comme nous avons eu une école de Marseille. M. Gustave Flaubert est le romancier de cette école de Rouen dont le poète est M. Bouilhet, auteur de Melœnis et de Madame de Montarcy. M. Bouilhet imite M. de Musset dans son poème et l’auteur de Ruy Blas dans son drame ; M. Flaubert imite M. de Balzac dans son roman, comme il imite M. Théophile Gautier dans quelques autres fragments qui ont été récemment publiés. L’auteur de Madame Bovary appartient, on le voit,