… Mœurs de province ! nous dit M. Flaubert. Mme Bovary, pour peu qu’on l’y pousse, va droit au vol et à l’assassinat. Elle finit par le suicide. Elle ne vaut pourtant ni plus ni moins que toutes les femmes de même sorte qu’il est de mode de mettre aujourd’hui sur la scène, à grand renfort de public. C’est la même femme que nous avons vue vingt fois. Un publiciste célèbre disait en 1830 qu’il avait fait pendant quinze ans le même article. On pourrait dire plus justement que le roman et la comédie nous donnent depuis dix ans la même femme. Emma Bovary, c’est la Marguerite de la Dame aux Camélias, la duchesse de la Dame aux Perles, la Suzanne du Demi-Monde, toutes les héroïnes des drames de M. Dumas fils sous un nom nouveau. Il ne manqua à Emma Bovary que d’avoir connu Paris. Les héroïnes du drame parisien sont seulement plus franches qu’elle. Elles vivent de leur dégradation. Emma en meurt, mais sans contrition et sans repentir.
Toute cette histoire est-elle vrai ? Pourquoi pas ? Mme Bovary n’est pas plus invraisemblable que la baronne d’Auge, M. Dumas prend sur le vif des mauvaises mœurs les portraits qu’il fait pour le public. Pourquoi M. Flaubert n’aurait-il pas mis autant de vérité dans une histoire écrite sur place, suivant toute apparence, les originaux sous les yeux, et sans autre peine que de les copier ? M. Flaubert a braqué son daguerréotype sur un village de Normandie, et le trop fidèle instrument qui a rendu un certain nombre de ressemblances, portraits, paysages et petits tableaux en grisaille d’une vérité incontestable, de cette vérité terne et blafarde qui semble supprimer, dans les copies du monde physique, la lumière même qui les a produites.
… Quoi qu’il en soit, M. Flaubert est un peintre exact, il rend d’un trait précis et rigoureux des objets qu’il rencontre. Sous cet instrument de précision qu’il manie d’un doigt si exercé, le monde matériel se reproduit comme il est, ni plus ni moins, mais sans poésie et sans idéal. La ressemblance vous crève les yeux ; elle ne vise pas au cœur.
J’en dirai autant de ses personnages. Ce sont des mannequins