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très favorable au succès de votre roman que j’attends avec impatience, n’ayant lu que la première partie dans la Revue.

Croyez-moi, mon cher Confrère, votre tout dévoué et votre

Champfleury.

P.-S. — J’ai dû quitter l’audience à 5 heures, vers la fin de la plaidoirie, et je ne sais ce qui sera arrivé.


Paris, 12 mai 1857.

Mon cher Monsieur, je vous dis mon cher Monsieur parce que je viens de lire Madame Bovary. Je n’en connaissais, par la Revue de Paris, que la fin. Je viens de tout lire, et j’ai déjà tout relu. Si vous songez à fonder une Académie de vos quarante plus chauds admirateurs, je me porte candidat, et pour dix places à moi tout seul. Votre livre m’a empoigné et remué à fond. Je vous en remercie comme si vous l’aviez fait pour moi. À quand votre second coup de maître ? Je suis mécontent de ma journée ; il est deux heures, et je ne vous ai encore raccolé que trois lecteurs. Pardonnez-moi, ce n’est pas ma faute, et je tâcherai de mieux faire ce soir… Je ne sais pourquoi je vous écris tout cela, si ce n’est pour vous dire que l’événement de votre avènement m’enchante et que je vous prie, lorsque vous reviendrez à Paris, de m’écrire quatre lignes pour que je sache où prendre deux mains que je veux serrer.

Guillaume Guizot.

Vendredi.
Mon cher Ami,
 

Sachez, mon cher Ami, que les deux volumes de Madame Bovary sont ici sur mon bureau. Ceci vous prouve que Grenoble est un pays moins perdu qu’on ne le suppose généralement. Il est juste d’ajouter que la publication en volumes était fort attendue ici. La Revue de Paris y a deux ou trois abonnés qui la lisent quelquefois. Dès les premières pages de votre roman, on a reconnu la vraie vie de province étudiée de près. On a continué la lecture : on a apprécié le talent parce qu’on est éclairé, et la passion parce qu’on est homme. Bref, les numéros ont fait le tour de la ville. La population se compose de magistrats en activité et d’officiers en retraite. Les magistrats vous ont donné gain de cause avant ceux de Paris. Mais c’est surtout la partie féminine qui s’est régalée. Les dames de Grenoble bovarisent un peu pour leur compte, et elles se sont reconnues, non sans plaisir, dans votre roman. Je tiens ces détails d’un de mes amis qui professe la philosophie au lycée de Grenoble ; grand bovariste d’ailleurs,