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d’une œuvre incomplète et trop rembourrée. Tu dois me maudire de toutes tes forces, mais songe bien que, dans tout ceci, je n’ai en vue que ton seul intérêt.

« Adieu, cher vieux, réponds-moi et sache-moi bien tout à toi.

« Maxime Du Camp. »

Flaubert écrivit au dos de cette lettre : gigantesque ! et resta inflexible, mais quand parut le numéro du 1er décembre, précédé de cette note : La Direction s’est vue dans la nécessité de supprimer ici un passage qui ne pouvait convenir à la rédaction de la Revue de Paris. Nous en donnons acte à l’auteur. — M. D. Flaubert ne put retenir son indignation et ne pardonna pas à son ami Du Camp d’avoir été le témoin ou de s’être fait l’ouvrier d’une telle besogne. Le but de ces coupures était évidemment de ménager les susceptibilités des lecteurs de la Revue, qui se récriaient contre certains passages du roman, considérés ailleurs comme un attentat aux mœurs et au sentiment religieux, et d’éviter à celle-ci des poursuites judiciaires possibles. Mais ceci importait peu à Flaubert. Il voulut interrompre la publication de son roman, plaider. On discuta fort et longuement ; les meilleurs arguments se brisaient contre une volonté indomptable, une fierté froissée. D’autre part, la Revue de Paris ne pouvait sans se porter de grands préjudices, interrompre la publication du roman et cependant elle voulait à tout prix ne pas donner prise aux poursuites dont on la menaçait. On transigea enfin et l’on admit l’insertion de la note suivante que rédigea Flaubert et qui parut dans le numéro du 15 décembre 1856 : « Des considérations que je n’ai pas à apprécier ont contraint la Revue de Paris à faire une suppression dans le numéro du 1er décembre 1856. Ses scrupules s’étant renouvelés à l’occasion du présent numéro, elle a jugé convenable d’enlever encore plusieurs passages. En conséquence, je déclare dénier la responsabilité des lignes qui suivent ; le lecteur est donc prié de n’y voir que des fragments et non pas un ensemble. — G. Flaubert. »

Madame Bovary parut donc sous cette forme, au milieu de ces incidents, du 1er octobre au 15 décembre 1856.

LES POURSUITES.

Mais Flaubert ayant recueilli tous les passages visés par la Revue de Paris, les citait volontiers à son entourage. La susceptibilité officielle peu à peu s’éveilla ; des influences différentes se rencontrèrent, agirent, la Revue de Paris déplaisait par ses tendances libérales ; en haut lieu on décida les poursuites.

Flaubert fut d’abord inquiet ; il voulut éviter le procès et son