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un des flambeaux dorés. Berthe, près de lui, enluminait des estampes.

Il souffrait, le pauvre homme, à la voir si mal vêtue, avec ses brodequins sans lacet et l’emmanchure de ses blouses déchirée jusqu’aux hanches, car la femme de ménage n’en prenait guère de souci. Mais elle était si douce, si gentille, et sa petite tête se penchait si gracieusement en laissant retomber sur ses joues roses sa bonne chevelure blonde, qu’une délectation infinie l’envahissait, plaisir tout mêlé d’amertume comme ces vins mal faits qui sentent la résine. Il raccommodait ses joujoux, lui fabriquait des pantins avec du carton, ou recousait le ventre déchiré de ses poupées. Puis, s’il rencontrait des yeux la boîte à ouvrage, un ruban qui traînait ou même une épingle restée dans une fente de la table, il se prenait à rêver, et il avait l’air si triste, qu’elle devenait triste comme lui.

Personne à présent ne venait les voir ; car Justin s’était enfui à Rouen, où il est devenu garçon épicier, et les enfants de l’apothicaire fréquentaient de moins en moins la petite, M. Homais ne se souciant pas, vu la différence de leurs conditions sociales, que l’intimité se prolongeât.

L’Aveugle, qu’il n’avait pu guérir avec sa pommade, était retourné dans la côte du Bois-Guillaume, où il narrait aux voyageurs la vaine tentative du pharmacien, à tel point que Homais, lorsqu’il allait à la ville, se dissimulait derrière les rideaux de l’Hirondelle, afin d’éviter sa rencontre. Il l’exécrait ; et, dans l’intérêt de sa propre réputation, voulant s’en débarrasser à toute force, il dressa contre lui une batterie cachée, qui décelait la profondeur de son intelligence et la scélératesse