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d’un négociant fort riche), et je t’apporterai cela demain, ajouta-t-il.

Emma n’eut point l’air d’accueillir cet espoir avec autant de joie qu’il l’avait imaginé. Soupçonnait-elle le mensonge ? Il reprit en rougissant :

— Pourtant, si tu ne me voyais pas à trois heures, ne m’attends plus, ma chérie. Il faut que je m’en aille, excuse-moi. Adieu !

Il serra sa main, mais il la sentit tout inerte. Emma n’avait plus la force d’aucun sentiment.

Quatre heures sonnèrent ; et elle se leva pour s’en retourner à Yonville, obéissant comme un automate à l’impulsion des habitudes.

Il faisait beau ; c’était un de ces jours du mois de mars clairs et âpres, où le soleil reluit dans un ciel tout blanc. Des Rouennais endimanchés se promenaient d’un air heureux. Elle arriva sur la place du Parvis. On sortait des vêpres ; la foule s’écoulait par les trois portails, comme un fleuve par les trois arches d’un pont, et, au milieu, plus immobile qu’un roc, se tenait le suisse.

Alors elle se rappela ce jour où, tout anxieuse et pleine d’espérances, elle était entrée sous cette grande nef qui s’étendait devant elle moins profonde que son amour ; et elle continua de marcher, en pleurant sous son voile, étourdie, chancelante, près de défaillir.

— Gare ! cria une voix sortant d’une porte cochère qui s’ouvrait.

Elle s’arrêta pour laisser passer un cheval noir, piaffant dans les brancards d’un tilbury que conduisait un gentleman en fourrure de zibeline. Qui était-ce donc ? Elle le connaissait… La voiture s’élança et disparut.