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matières, sitôt qu’elles dépassaient une certaine mesure, il écrivit à M. Boulard, libraire de Monseigneur, de lui envoyer quelque chose de fameux pour une personne du sexe, qui était pleine d’esprit. Le libraire, avec autant d’indifférence que s’il eût expédié de la quincaillerie à des nègres, vous emballa pêle-mêle tout ce qui avait cours pour lors dans la négoce des livres pieux. C’étaient de petits manuels par demandes et par réponses, des pamphlets d’un ton rogue dans la manière de M. de Maistre, et des espèces de romans à cartonnage rose et à style douceâtre, fabriqués par des séminaristes troubadours ou des bas-bleus repenties. Il y avait le Pensez-y bien ; l’Homme du monde aux pieds de Marie, par M. de ***, décoré de plusieurs ordres ; des Erreurs de Voltaire, à l’usage des jeunes gens, etc.

Mme Bovary n’avait pas encore l’intelligence assez nette pour s’appliquer sérieusement à n’importe quoi ; d’ailleurs, elle entreprit ces lectures avec trop de précipitation. Elle s’irrita contre les prescriptions du culte ; l’arrogance des écrits polémiques lui déplut par leur acharnement à poursuivre des gens qu’elle ne connaissait pas ; et les contes profanes relevés de religion lui parurent écrits dans une telle ignorance du monde, qu’ils l’écartèrent insensiblement des vérités dont elle attendait la preuve. Elle persista pourtant, et, lorsque le volume lui tombait des mains, elle se croyait prise par la plus fine mélancolie catholique qu’une âme éthérée pût concevoir.

Quant au souvenir de Rodolphe, elle l’avait descendu tout au fond de son cœur ; et il restait là, plus solennel et plus immobile qu’une momie