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la longue affaissé sous le poids de sa corpulence, il se faisait que la voiture penchait un peu tout en allant, et l’on apercevait sur l’autre coussin près de lui une vaste boîte, recouverte de basane rouge, dont les trois fermoirs de cuivre brillaient magistralement.

Quand il fut entré comme un tourbillon sous le porche du Lion d’or, le docteur, criant très haut, ordonna de dételer son cheval, puis il alla dans l’écurie voir s’il mangeait bien l’avoine ; car, en arrivant chez ses malades, il s’occupait d’abord de sa jument et de son cabriolet. On disait même à ce propos : « Ah ! M. Canivet, c’est un original ! » Et on l’estimait davantage pour cet inébranlable aplomb. L’univers aurait pu crever jusqu’au dernier homme, qu’il n’eût pas failli à la moindre de ses habitudes.

Homais se présenta.

— Je compte sur vous, fit le docteur. Sommes-nous prêts ? En marche !

Mais l’apothicaire, en rougissant, avoua qu’il était trop sensible pour assister à une pareille opération.

— Quand on est simple spectateur, disait-il, l’imagination, vous savez, se frappe ! Et puis j’ai le système nerveux tellement…

— Ah bah ! interrompit Canivet, vous me paraissez, au contraire, porté à l’apoplexie. Et, d’ailleurs, cela ne m’étonne pas ; car, vous autres, messieurs les pharmaciens, vous êtes continuellement fourrés dans votre cuisine, ce qui doit finir par altérer votre tempérament. Regardez-moi, plutôt : tous les jours, je me lève à quatre heures, je fais ma barbe à l’eau froide (je n’ai jamais froid),