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la lettre sur sa robe, et elle crut presque apercevoir son père se courbant vers l’âtre pour saisir les pincettes. Comme il y avait longtemps qu’elle n’était plus auprès de lui, sur l’escabeau, dans la cheminée, quand elle faisait brûler le bout d’un bâton à la grande flamme des joncs marins qui pétillaient !… Elle se rappela des soirs d’été tout pleins de soleil. Les poulains hennissaient quand on passait, et galopaient, galopaient… Il y avait sous sa fenêtre une ruche à miel, et quelquefois les abeilles, tournoyant dans la lumière, frappaient contre les carreaux comme des balles d’or rebondissantes. Quel bonheur dans ce temps-là ! quelle liberté ! quel espoir ! quelle abondance d’illusions ! Il n’en restait plus maintenant ! Elle en avait dépensé à toutes les aventures de son âme, par toutes les conditions successives, dans la virginité, dans le mariage et dans l’amour ; — les perdant ainsi continuellement le long de sa vie, comme un voyageur qui laisse quelque chose de sa richesse à toutes les auberges de la route.

Mais qui donc la rendait si malheureuse ? où était la catastrophe extraordinaire qui l’avait bouleversée ? Et elle releva la tête, regardant autour d’elle, comme pour chercher la cause de ce qui la faisait souffrir.

Un rayon d’avril chatoyait sur les porcelaines de l’étagère ; le feu brûlait ; elle sentait sous ses pantoufles la douceur du tapis ; le jour était blanc, l’atmosphère tiède, et elle entendit son enfant qui poussait des éclats de rire.

En effet, la petite fille se roulait alors sur le gazon, au milieu de l’herbe qu’on fanait. Elle était couchée à plat ventre, au haut d’une meule.