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dent (Il montre la table, au milieu.) des deux côtés, les deux secrétaires, et moi, au milieu, en face du public !… Mais sur quoi m’appuierai-je ? il me faudrait une tribune ! Oh ! je l’aurai, la tribune ! En attendant… (Il va prendre une chaise et la pose devant lui, sur la petite estrade.) Bien ! et je placerai le verre d’eau, — car je commence à avoir une soif abominable — je placerai le verre d’eau, là ! (Il prend le verre d’eau qui se trouve sur la table du Président, et le met sur sa chaise.) Aurai-je assez de sucre ? (Regardant le bocal qui en est plein.) Oui !

Tout le monde est assis. Le Président ouvre la séance ; et quelqu’un prend la parole. Il m’interpelle pour me demander… par exemple… Mais d’abord qui m’interpelle ? Où est l’individu ? À ma droite, je suppose ! Alors, je tourne la tête, brusquement !… Il doit être moins loin ? (Il va déranger une chaise, puis remonte.) Je conserve mon air tranquille, et tout en enfonçant la main dans mon gilet… Si j’avais pris mon habit ? C’est plus commode pour le bras ! Une redingote vaut mieux, à cause de la simplicité. Cependant, le peuple, on a beau dire, aime la tenue, le luxe. Voyons ma cravate ? (Il se regarde dans une petite glace à main, qu’il retire de sa poche.) Le col un peu plus bas. Pas trop cependant ; on ressemble à un chanteur de romances. Oh ! ça ira — avec un mot de Murel, de temps à autre, pour me soutenir ! C’est égal ! Voilà une peur qui m’empoigne… et j’éprouve à l’épigastre… (Il boit.) Ce n’est rien ! Tous les grands orateurs ont cela à leurs débuts ! Allons, pas de faiblesses, ventrebleu ! un homme en vaut un autre, et j’en vaux