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première version

la vie, et il ne rentrera au sein immobile de Prounicos qu’après avoir accompli dans sa chair toutes les œuvres de la chair… Viens avec nous aux agapes, la nuit. Les femmes nues, couronnées d’hyacinthes, mangent, à la lueur des torches qui se mirent dans les plats d’or. Elles sont à tous, comme nos biens, comme nos livres, comme le soleil et comme Dieu. Nous chantons à table des chansons de funérailles, nous nous lacérons avec des couteaux et nous buvons le sang de nos bras. Nous montons sur l’autel, et nous encensons avec des encensoirs.


LA FAUSSE PROPHÉTESSE DE CAPPADOCE, dont l’énorme chevelure rouge descend jusqu’aux talons. Elle brandit un pin enflammé, et s’appuie, de la main gauche, sur le museau d’une tigresse, qui se frotte contre sa cuisse.


L’esprit est dans la flamme, dans la chair, dans l’ouragan. Il en va jaillir pour toi par l’invocation terrible. Écoute-la ! Je te roulerai dans mon amour tout au fond de l’abîme. Viens ! viens !


Et elle secoue sa torche dont les gouttes de feu tombent aux pieds de saint Antoine. La tigresse bombe son dos.


ANTOINE épouvanté, recule.

Oh ! oh ! oh ! elles vont me prendre ! J’ai peur ! La bête rugit ! Comment sont-elles venues jusqu’à moi ? C’est par ma faute, mon Dieu ! pitié ! pitié !


Il saisit sa discipline, et la fait tourner rapidement comme une fronde.
Les Hérésies s’éloignent, baissant la tête dans leurs épaules,
avec des gestes effrayés.