Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
la tentation de saint antoine
sur une sphère qui roule, se penche à l’oreille de saint Antoine :

Tu adores Dieu : adore le Diable !

L’ORGUEIL criant :

À moi, mes filles !


paraît derrière l’ermite.


La chevelure hérissée, les yeux rouges, le teint blême, la stature haute, le sourcil relevé. Un grand manteau de pourpre dont elle s’enveloppe cache les ulcères de ses jambes, et elle baisse le menton pour regarder dans sa poitrine un serpent qui la ronge. — On entend des sifflements, des aboiements, des cymbales qui sonnent, des clochettes qui tintent, et les Hérésies s’avancent, par longues files séparées, portant sur leurs têtes des serpents ou des fleurs. — dans leurs mains, des fouets, des livres, des zodiaques, des glaives, des idoles, des colliers d’amulettes autour du cou, des tatouages sur la figure avec des costumes de la Chaldée, de la Perse et des Indes, — le visage enflammé comme des fournaises, d’autres plus pâles que des ombres. — Il y a des magiciens à longue barbe, des prophétesses, les cheveux épars, des nains qui hurlent. Leurs haleines font une vapeur dans la nuit et leurs yeux étincellent comme la pupille des chats sauvages.
Elles s’amassent, en se grimpant sur les épaules. La Logique, qui bat la mesure avec un bâton de fer, conduit leur marche. L’Orgueil ricane d’une façon stridente. — Antoine dans sa cellule frémit. — À mesure qu’elles approchent, une des ombres précédentes apparaît dans sa forme particulière et se mêle à leurs groupes.
C’est d’abord : la Luxure, rouge de cheveux, blanche de peau, très grasse, vêtue d’une robe jaune rehaussée de perles et de diamants. Elle est aveugle. De ses doigts chargés d’émeraudes, elle relève sa robe doucement, jusqu’à la hauteur des chevilles.