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la tentation de saint antoine

ché leur oreille au bord des gouffres de la Thessalie, et ont acheté à des mages les plaques de métal qui se portent sur le ventre ; — elles se refusent à leurs époux, elles rient maintenant aux sacrifices, elles sont fatiguées de tous les dieux, mais elles voudraient savoir pourquoi la Madeleine suivait le Christ par les chemins, et les plus naïves, n’est-ce pas ? te demandent si, pour plaire au Crucifié, il suffit de chérir son serviteur ?…

ANTOINE, se tourmentant.

Ô mon Dieu ! est-ce ma faute ? Elles venaient, je les recevais, et il fallait bien ranimer les pécheresses, rassurer les chrétiennes, convertir les idolâtres.

LA VOIX

Oh ! que ne pouvais-tu suivre l’idolâtre dans l’atrium, et t’agenouiller avec la chrétienne, sur les dalles fraîches des basiliques ; — mais c’est la pécheresse, Antoine, qu’il eût fallu ne pas quitter ! Peu à peu, tu l’eusses déshabituée des hommes, tu aurais ôté de son front les bandelettes de pourpre, arraché de sa poitrine le collier plein d’orgueil, retiré de ses doigts les camées lourds.

ANTOINE, en colère.

Qu’elle prie ! qu’elle pleure ! qu’elle jeune ! un cilice ! des épines !