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la tentation de saint antoine

ANTOINE

Assez ! assez ! De par le Seigneur, va-t’en, vision de l’enfer !

Tout disparaît, — le cochon gémit, — Antoine regarde au
loin d’un air mélancolique.
LA VOIX, reprend[1] :

C’est par là que s’avance dans les sables la litière de pourpre, remuant doucement, aux bras noirs des eunuques ; elle enferme la fille des consuls qui soupire de langueur sous les grands pins de ses villas, la Lydienne épuisée qui ne veut plus

  1. Le manuscrit de 1856 porte, sur une page collée à la page 5, la variante suivante :

    LA VOIX, reprend :

    Une nuit, — c’était Héliopolis, sur le Nil, — tu veillais, comme maintenant, écoutant tomber dans les vasques de porphyre le jet clair des fontaines, que les lions soufflaient par leurs narines. — Il y avait deux torches au chevet d’un lit, et, près du lit, dans un trépied d’airain, la myrrhe fumait. Un long voile étendu recouvrait quelque chose de maigre, en se creusant au milieu, avec la courbe molle d’une vague qui s’efface ; puis il se bombait doucement vers le haut, et ses plis droits coulaient de chaque côté, jusqu’à terre : c’était la fille du questeur Martiallus, morte le matin même, le lendemain de ses noces.

    À force d’y promener tes yeux, il te parut par moments que le drap d’un bout à l’autre frissonnait, et tu fis trois pas pour voir la figure, tu levas le voile.

    La couronne funèbre, à nœuds serrés, entourait son front d’ivoire, ses prunelles pâlissaient dans la teinte laiteuse de ses