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XXVI
préface

tentations, les suggestions dissolvantes qui l’assaillent, l’ermite sera-t-il sauvé ?

En réalité, Flaubert n’a pas donné de réponse à la question, ni de dénouement à son drame. Il n’en a pas donné, parce que sa pensée est plus radicale que celle de Spinoza. Lui, il est un sceptique absolu. Tandis que Spinoza croit à la science, — à l’avenir de la science, — Flaubert s’en défie comme de tous les systèmes, comme de toutes les explications possibles de l’Univers. Il met sur ses lèvres cet aveu d’humilité en présence de l’Orgueil : « Si tu savais comme je suis malade et quels bourdonnements j’ai dans la tête !… Pourquoi, ô mère, toutes ces écritures que j’épèle ?… Le vent, parfois, éteint mon flambeau, — et alors je reste seul pleurant dans les ténèbres !… (Se penchant à son oreille :) Et puis j’ai peur ! Car je vois passer sur les murs comme des ombres vagues qui m’épouvantent !… » Ces « ombres vagues », c’est tout l’Inconnu formidable qui échappera éternellement aux prises de la Science et qui l’inquiète malgré sa volonté d’ignorer le Mystère.

Flaubert ne croit pas davantage à la Raison : « Si c’était l’absurde, au contraire, qui fût le vrai ?… » dit le diable à saint Antoine.

Et ainsi son livre n’a pas de conclusion. Il s’est interdit de conclure, car c’était là, chez lui, un