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VII[1]

Antoine n’entend plus rien. Le silence, à mesure qu’il écoute, lui paraît augmenter, et les ténèbres sont tellement obscures qu’il s’étonne, en ouvrant les yeux, de ne pas sentir leur résistance. Cependant elles l’étouffent comme du marbre noir qui serait moulé sur sa personne.


Bientôt elles s’entr’ouvrent, faisant comme deux murailles, et, au fond, dans un éloignement incalculable, une ville apparaît.
Des fumées s’échappent des maisons, des langues de feu se tordent dans la brume. Des ponts en fer passent sur des fleuves d’immondices. Des voitures, closes comme des cercueils, embarrassent de longues rues toutes droites. Çà et là, des femmes avancent leurs visages sous le reflet des tavernes, où brillent, à l’intérieur, de grands miroirs. Des hommes, en costumes hideux, et d’une maigreur, ou d’une obésité grotesque, courent comme s’ils étaient poursuivis, le menton bas, l’œil oblique, tous ayant l’air de cacher quelque chose.

Et voilà qu’au milieu d’eux saint Antoine aperçoit Jésus.
  1. Ce fragment que nous avons recueilli parmi des brouillons, semble appartenir à la version de 1874. D’après Mme Grout, Flaubert l’aurait supprimé, dans la crainte de froisser les consciences pieuses.