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LA MORT

Bah ! ils sont pareils, tous les fruits de la terre ! Dès la première bouchée, le dégoût vient aux lèvres.

LA LUXURE prend sa couronne de roses de dessus sa tête et l’offre aux narines d’Antoine.

Vois mes belles roses ! Je les ai cueillies dans la haie, sur le tronc d’un frêne, où s’enlaçait l’églantier. La rosée perlait aux branches. L’alouette chantait, et la brise du matin secouait l’odeur du feuillage vert… Le monde est beau ! le monde est beau !… Dans les pâturages pleins d’herbe, les poulains courent en gaîté, les étalons hennissent, les taureaux beuglants marchent d’un pied lourd. Il y a des fleurs plus hautes que toi et qui parfument les Océans. Il y a des forêts qui frissonnent sur les montagnes, des contrées où l’encens fume au soleil, de larges fleuves et de grandes mers. On pêche dans les fleuves, on navigue sur les mers. À la moisson, les grappes sont enflées, et des gouttelettes poissantes suintent à travers la peau des figues. Le sang bat, la sève coule, le lait sonne en tombant dans les vases…

Ah ! goûte-la plutôt, cette vie magnifique qui contient du bonheur à tous ses jours, comme le blé de la farine à tous les grains de ses épis. Aspire les brises, va t’asseoir sous les citronniers, couche-