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la tentation de saint antoine

Tous, peut-être, n’étaient pas nés pour porter sur le front des pyramides humaines et pour avoir à leur chevet, sans cesse, des griffes furieuses qui grattent la cloison !

Comme on fait d’un vaisseau, dans lequel on chasse des pointes à coups de maillet, dont on flambe les bois, que l’on resserre avec des vis, — nous nous sommes enfoncé dans l’âme un tas de choses dures et nous l’avons cerclée avec du fer, pour qu’elle file droite dans ses voyages, que ses mâts élastiques aient une volée plus haute, et que, fièrement, au soleil, elle sépare bien les flots, de sa carène vernie. Oh ! nous avons souffert dans notre jeunesse, et nous nous regardions dans des miroirs, pour étudier les grimaces qui font pleurer les multitudes.

Tout en buvant de l’eau, nous ajustons des rimes sur le vin et les festins, et nous n’avons pas d’amour, nous qui faisons pleurer d’amour. Le soldat rubicond braille nos hyperboles, en marchant à la charge. Les libertins naïfs envient notre gaîté, et les femmes abusées, sanglotant sur nos poitrines, nous demandent comment nous fîmes pour exprimer si bien ces tendresses qui les ravagent et que nous semblons même ne pas comprendre !

Ohé ! ohé !

Nous avons des couronnes de papier peint, des sabres de bois, du clinquant sur nos habits… Les faux diamants brillent mieux que les vrais ; les maillots roses valent les cuisses blanches ; les per-