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première version
ANTOINE

J’entends la voix du démon qui hurle autour de moi, mais avec ta force, ô Dieu puissant, je me rirai de ses fureurs. Je chanterai tes louanges durant l’épouvantement des tentations. Je suis comme un homme tombé à la mer et qui donne de grands coups de reins pour remonter dans la chaloupe. Accepte-moi ! prends-moi ! miséricorde ! miséricorde !

LE DIABLE

Alors le rêve du mal s’épanouira comme une fleur de ténèbres, plus large que le soleil. Il y aura des énivrements de l’orgueil si âcres et si longs, et des joies de la luxure si frénétiques et des miasmes du néant si renversants, que les anges arracheront leurs ailes, le saint maudira sa vertu, le martyr se désolera de son supplice : — les élus pousseront des huées furieuses autour de Jésus-Christ. On le désertera dans son ciel, et l’enfer débordé s’étalera sur le monde.

Antoine continue à prier.


L’Orgueil, la tête basse, s’enfonce dans son manteau. La Colère reste immobile. L’Envie ferme les yeux. Toutes les filles du Diable sont consternées.
Mais il déploie sa grande aile verte et, la faisant tourner rapidement comme une fronde, il en frotte les lèvres des Péchés, qui se ruent pêle-mêle autour de saint

Antoine et hurlent effroyablement.