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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

leurs œuvres, leur outils de labourage et leur maison.

Mon arche reposait dans un triple sanctuaire, derrière les voiles de pourpre et les candélabres allumés. J’avais pour me servir toute une tribu qui balançait des encensoirs ; j’avais un plafond fait avec des poutres de cèdre, — et le grand-prêtre, en robe d’hyacinthe, qui portait sur sa poitrine des pierres précieuses rangées dans un ordre symétrique.

Malheur ! Malheur ! le Saint des Saints s’est ouvert. Le voile s’est déchiré, l’arche est perdue et les parfums du sacrifice sont partis à tous les vents, par les fentes de la muraille. Dans les sépulcres d’Israël, le vautour du Liban vient abriter sa couvée. Mon temple est détruit, mon peuple est dispersé. On a étranglé les prêtres avec les cordons de leurs habits ; les forts ont péri par le glaive, les femmes sont captives ; les vases sont tous fondus.

C’est ce Dieu de Nazareth qui a passé par la Judée. Comme un tourbillon d’automne, il a entraîné mes serviteurs. Ses apôtres ont des églises, sa mère, sa famille, tous ses amis ; et moi je n’ai pas un temple ! pas une prière pour moi seul ! pas une pierre où soit mon nom ! et le Jourdain aux eaux bourbeuses n’est pas plus triste ni plus abandonné.

La voix s’éloigne.

J’étais le Dieu des armées ! le Seigneur ! le Seigneur Dieu !