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XX
préface

D’abord (le sujet l’y conviait), Flaubert a mis, dans cette confession déguisée, ses propres « tentations », ses convoitises qui furent énormes, pour employer son mot favori. Lui-même s’en vantait : « Aurai-je eu des envies, moi !… et de piètres[1] !… » Ses amis le plaisantaient de s’exciter sans cesse sur des jouissances ou des entreprises impossibles, et la grand’mère de Maxime Du Camp lui appliquait le dicton trivial : « Plus grands yeux que grand ventre ! »

Il est, du moins, certain que personne, dans notre littérature, n’a aussi fortement exprimé la frénésie du désir. Toutes les ressources de son imagination s’épuisaient à faire resplendir l’objet convoité. Son tempérament d’ailleurs était assez généreux pour justifier tous les appétits et tous les emportements de la passion, et, lorsqu’il nous affirme que, seul, le sentiment de la Beauté l’a retenu sur la pente des désordres, nous pouvons l’en croire sur parole. Il se ruait, d’un élan fou, vers l’image fascinante des félicités ; puis, tout à coup, cette fièvre tombait, il reculait devant le néant, soudainement entrevu, des apparences tentatrices.

Et ainsi personne encore n’a plus tragiquement

  1. Correspondance, t. III, p. 49.