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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
Silence.


Un coup de tonnerre éclate. Le Diable frissonne et saint Antoine tombe, la face contre terre.
UNE VOIX

J’étais le Dieu des armées ! le Seigneur, le Seigneur Dieu !

J’étais terrible comme la gueule des lions, plus fort que les torrents, plus haut que les montagnes ; j’apparaissais dans les nuages, avec une figure furieuse.

J’ai conduit les patriarches qui s’en allaient chercher des femmes pour leur postérité. Je réglais le pas des dromadaires et l’occasion de la rencontre, au bord de la citerne ombragée d’un palmier jaune. Comme par des robinets d’argent, je lâchais les pluies ; je séparais les mers avec mon pied ; j’entre-choquais les cèdres avec mes mains ; j’ai déplié sur les collines les tentes de Jacob et conduit, à travers les sables, mon peuple qui s’enfuyait.

C’est moi qui ai brûlé Sodome. C’est moi qui ai englouti la terre sous le déluge ; c’est moi qui ai noyé Pharaon, avec les princes fils de rois, avec les chariots de guerre et les cochers.

Dieu jaloux, j’exécrais les autres dieux, les autres peuples, et je châtiais mon peuple d’une colère sans pitié. J’ai broyé les impurs, j’ai abattu les superbes et ma désolation allait de droite et de