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l’Archipel ! Tu as perdu tes chœurs, sérieuse Melpomène ! Adieu le haut cothurne et les manteaux traînants, l’hymne qui passait par bouffées dans les terreurs tragiques et le vers simple qui glaçait la peau ! Et toi, svelte Terpsichore, dont les Sirènes sont filles, tu ne te souviens plus de tes pas mesurés, que l’on comparait à la danse des étoiles, tandis que le maître d’orchestre battait la mesure avec sa semelle de fer ! Ils sont finis les grands enthousiasmes ! C’est le tour maintenant des gladiateurs, des bossus et des farceurs ! Clio violée a servi les politiques, la Muse des festins s’engraisse de mets vulgaires, on a fait des livres sans s’inquiéter des phrases ! Pour les médiocres existences, il a fallu de grêles édifices et des costumes étroits pour les fonctions serviles. Le marchand, le goujat et la prostituée, avec l’argent de leur commerce, ont payé les Beaux-Arts, et l’atelier de l’artiste, comme le réceptacle de toutes les prostitutions intellectuelles, s’est ouvert, pour recevoir la foule, se plier à ses commodités et la divertir.

Art des temps antiques, au feuillage toujours jeune, qui pompais ta sève dans les entrailles de la terre et balançais dans un ciel bleu ta cime pyramidale, toi dont l’écorce était rude, les rameaux nombreux, l’ombrage immense et qui désaltérais les peuples d’élection, avec des fruits vermeils arrachés par les forts, une nuée de hannetons s’est abattue sur tes feuilles ; on t’a fendu en morceaux, on t’a scié en planches, on t’a réduit en poudre, et