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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

Ta joie court de peuple en peuple ! Tu délivres l’esclave, tu es saint ! tu es divin, évohé !

La Mort allonge son fouet ; tout disparaît et
LES MUSES s’avancent, couvertes de manteaux noirs, la tête basse.

Quelque chose qui n’est plus palpitait dans l’air sur les races juvéniles. Elles avaient la poitrine carrée et des langages, comme leurs vêtements, à grands plis droits, avec des franges d’or. Dans les leçons du philosophe, comme dans la pantomine des bateleurs et la constitution des républiques, dans les statues, dans les meubles, dans les harnachements et les coiffures, partout c’était un art sublime qui rehaussait la vie. Les métaphysiciens éduquaient les courtisanes. Des montagnes de marbre attendaient les sculpteurs.

ANTOINE, soupirant.

Ah ! cela était beau ! c’était beau ! c’était beau ! je le sais !

LES MUSES

Pleurons les vastes théâtres et les danseurs nus ! Ô Thalie, déesse au front bombé, qu’as-tu fait de ta massue d’airain et de ton rire qui se roulait sur les foules comme le vent du Sud, sur les flots de