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XIX
préface

version, les Parnassiens ont établi leur discipline, et cela se sent à la surveillance jalouse que l’auteur exerce constamment sur lui-même, à la répression impitoyable de tous les écarts de plume ou d’imagination et, pour tout dire, à une sorte de perfection un peu glacée qui donne sans doute à l’œuvre une incomparable valeur d’art, mais qui lui ôte la spontanéité et la bonhomie de l’inspiration naïve.

Ces différences de forme sont encore bien superficielles. En voici de plus profondes. Le Saint Antoine de 1874 est une œuvre strictement objective et impersonnelle : c’est le contraire pour le premier. On pourrait assez bien le définir : une confession personnelle coulée dans le moule d’une moralité du moyen âge. Et, en effet, Flaubert — qu’il en ait eu conscience ou non — s’est substitué à son personnage[1]. Il se raconte et s’analyse à la place de saint Antoine : c’est lui qui parle, le plus souvent, par la bouche du solitaire ; et, quand on connaît un peu les événements de sa vie intime, on les retrouve sans peine mêlés à la trame de la fiction. Il n’est que de comparer certaines phrases de la Correspondance à certaines phrases du Saint Antoine, pour deviner dans celles-ci l’écho plus ou moins amplifié de celles-là.

  1. Il écrivait à Mme Colet : « J’ai été moi-même, dans Saint Antoine, le saint Antoine. » (Corresp., t. II, p. 73.)