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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
ANTOINE, lentement.

Oh ! quelle quantité !

LE DIABLE

N’est-ce pas ?… Et tu ne vois pas tout ! Il y en a d’autres encore dont la poussière même ne se retrouve plus.

Mais ils réapparaîtront un jour, comme des morts qui ressuscitent, et l’homme impitoyable les jugera : les grands, les humbles, les farouches, les gais, ceux qui avaient des têtes d’animaux et ceux qui portaient des ailes. Ils se tiendront tous devant lui, pâles et par longues files silencieuses comme une armée vaincue. Et alors le Nègre, en grinçant des dents, s’approchera de son idole, et, lui mettant le poing sous la mâchoire, lui crachera au visage. Le Grec, avec dédain, renversera, du bout de sa sandale, ses statues blanches, et l’habitant des pôles, aux yeux rougis par les neiges, verra se fondre sous le soleil ses vagues dieux faits de brouillard et de tristesse. On jettera dans le vent leurs bracelets, leurs couronnes, leurs urnes taries, leurs glaives émoussés ; on fera sonner sous le doigt le creux de leur poitrine, et les Olympes s’écrouleront au tonnerre des rires que la vengeance humaine poussera ! parce qu’ils n’ont rien donné, parce qu’ils étaient durs comme