Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

Tiens ! tiens ! les sens-tu, nos doigts chargés de bagues qui courent sur ton corps, et nos lèvres qui cherchent ta bouche et nos cheveux qui balaient tes cuisses ? Dieu pâmé, sourd à nos prières !

Antoine se cache la figure avec sa manche. Le Diable lui tire le bras brusquement et le pousse plus près.

Ah ! voyez donc comme ses membres, en le maniant, sont restés au fond de nos mains ! Il n’est plus ! il n’éternue pas à la fumée des herbes sèches, et ne soupire point d’amour au milieu des bonnes odeurs !… Il est mort !… il est mort !

ANTOINE, se penchant vers les femmes.

Qui donc ?

LE DIABLE, lentement.

Ce sont les filles de Tyr qui pleurent Adonis.

Elles s’écorchent la figure avec leurs ongles et se mettent à couper leurs cheveux ; puis elles vont, l’une après l’autre, les déposer sur le lit, et toutes ces longues chevelures pêle-mêle semblent des serpents blonds et noirs rampant sur le cadavre de cire rose qui n’est plus maintenant qu’une masse informe.


Elles s’agenouillent et sanglotent.
ANTOINE se prend la tête dans les mains.

Comment !… mais !… oui !… je me rappelle !… une fois déjà… par une nuit pareille, autour d’un