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première version
LES FEMMES

Beau ! Beau ! il est beau ! réveille-toi ! assez dormi ! lève la tête, debout !

Elles s’asseoient par terre, toutes en rond.

Ah ! il est mort ! il n’ouvrira pas les yeux ! Les mains sur les hanches et le pied droit en l’air, il ne tournera plus sur le talon gauche. Pleurons ! désolons-nous ! crions !

Elles poussent de grands cris, puis se taisent tout à coup. On entend pétiller la mèche des flambeaux dont les gouttes arrachées par le vent tombent sur le cadavre de cire et lui fondent les yeux.


Les femmes se relèvent.

Comment faire ? chatouillons-le ! frappons-lui dans les mains !… Là… là… respire nos bouquets ! Ce sont des narcisses et des anémones que nous avons cueillis dans tes jardins. Ranime-toi, tu nous fais peur !

Oh ! comme il est raide, déjà !

Voilà ses yeux qui coulent par les bords ! Ses genoux sont tordus, et la peinture de son visage a descendu sur la pourpre.

Parle ! Nous sommes à toi ! Que te faut-il ? Veux-tu boire du vin ? veux-tu coucher dans nos lits ? veux-tu manger les pains de miel que nous faisons frire dans des poêles, et qui ont la forme de petits oiseaux, pour t’amuser davantage.

Touchons-lui le ventre ! Baisons-le sur le cœur !