Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
première version

On dit que j’ai accompli douze travaux ! J’en ai accompli cent, cent mille ! que sais-je ?

J’ai d’abord étranglé deux énormes serpents qui s’enroulaient à mon berceau. J’ai dompté le Taureau de Crète, les Centaures, les Cercopes et les Amazones, j’ai fait mourir Busiris, j’ai étouffé le Lion de Némée, j’ai coupé les têtes de l’Hydre. J’ai tué Théodomus et Lacynus, Lycus roi de Thèbes, Euripide roi de Cos, Nelée roi de Pise, Euryle roi d’Œchalie. J’ai cassé la corne d’Acheloüs qui était un grand fleuve. J’ai tué Géryon qui avait trois corps, et Cacus, fils de Vulcain.

Est-ce tout ? Oh non ! j’ai abattu le Vautour de Prométhée, j’ai lié Cerbère avec une chaîne, j’ai nettoyé les étables d’Augias ; — j’ai séparé les montagnes de Calpé et d’Abyla, rien qu’en les prenant par leurs sommets, comme un homme qui écarte avec ses deux mains les éclats d’une bûche.

J’ai voyagé. J’ai été dans l’Inde, j’ai parcouru les Gaules. J’ai traversé le désert où l’on a soif.

Les pays esclaves, je les délivrais ; les pays inhabités, je les peuplais ; — et plus je vieillissais, plus s’accroissait ma force : je tuais mes amis en jouant avec eux, je rompais les sièges en m’asseyant dessus, je démolissais les temples en passant sous leurs portiques. J’avais en moi une fureur continuelle qui débordait à gros bouillons, comme le vin nouveau qui fait sauter la bonde des cuves.

Je criais, je courais, je déracinais les arbres, je troublais les fleuves, l’écume sifflait au coin de