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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
JUPITER OLYMPIEN, tenant dans ses mains une coupe vide. Devant lui, marche son aigle engourdi : il a le dessous des ailes rouge comme s’il était rongé de vermine ; il ramasse par terre, avec son bec, les plumes qui lui tombent du corps. — Jupiter regarde le fond de sa coupe.

Plus rien ! pas une goutte !

Il la penche sur l’ongle de son doigt, jette un long soupir et reprend :

Quand l’ambroisie défaille, les immortels s’en vont.

Père des Dieux, des rois et des hommes, je gouvernais l’éther, les intelligences et les empires. Au froncement de mes sourcils, le ciel tremblait. Je lançais la foudre, j’assemblais les nuées !

Parmi tous les Dieux, sur un trône d’or, au haut de l’Olympe, assis et, d’un œil ouvert, surveillant chaque chose, je regardais passer les Heures, filles à la taille égale que le Plaisir et la Peine rendent pour les mortels si longues ou si petites, — Apollon qui courait dans son char, secouant au vent des planètes sa chevelure bouclée, — les Fleuves sur le coude épanchant leurs urnes, — Vulcain battant ses métaux, — Cérès sciant ses blés, — et Poséidon agité, qui, de son manteau bleu, entourait la terre retentissante.

Les nuages s’élevant apportaient jusqu’à moi le parfum des sacrifices. Avec le chant des hymnes, la fumée montait dans le feuillage du laurier, et la poitrine du prêtre, se dilatant au rythme, exhalait