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première version

glots ! Nous avions le cœur gonflé, comme la mer, quand bat le plein de la marée.

Sur la lande où picore la corneille, nous avons trouvé les Pommes dont se nourrissaient les dieux quand ils se sentaient vieillir ; elles étaient noires de pourriture et s’écrasaient à la pluie. Dans la forêt profonde, près du Hêtre éternel, nous avons vu les quatre Daims qui tournent en mordant son feuillage. L’écorce était rongée et les bêtes assouvies ruminaient debout, en battant du pied. Au bord de la plage, où se brisent les glaçons blancs, nous avons rencontré le vaisseau construit avec les ongles des cadavres : il était vide, et alors a chanté le coq noir qui se tenait au fond de la terre, dans les salles de la mort.

Nous sommes las, nous avons froid et nous trébuchons sur la glace. Le loup qui court derrière nous va dévorer la lune.

Nous n’avons plus les grandes prairies où il y avait des haltes pour reprendre haleine, dans la bataille. Nous n’avons plus les navires à plaques d’or, les longs navires bleus dont la proue coupait les monts de glace, quand nous cherchions, sur l’océan, les Génies cachés qui bramaient dans les tempêtes. Nous n’avons plus les patins pointus avec lesquels nous faisions le tour des pôles, en portant, au bout des bras, le firmament entier qui tournait avec nous…

Ils disparaissent dans un tourbillon de neige.
Antoine sent peu de sympathie pour les Dieux du Nord, trop brutaux et trop étroits.