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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
UN DIEU plus grand que tous les autres, magnifique, vêtu de robes étincelantes, monté sur un cygne, avec quatre figures à mentons barbus et tenant dans ses mains un collier où sont passées des sphères.

Je suis la terre ! je suis l’eau ! je suis le feu ! je suis l’air ! je suis l’intelligence, la conscience, la création, la dissolution, la cause, l’effet : invocation dans les livres, profondeur dans l’océan, vastitude dans le ciel, force du fort, pureté du pur, sainteté du saint !

Il s’arrête essoufflé.

Bon ! excellent ! très-haut ! Le sacrifice ! l’aromate ! Le prêtre et la victime ; le protecteur, le réconforteur ! le créateur !…

Il respire encore une fois.

… la pluie qui fait du bien, la bouse de vache, le fil du collier, l’asyle, l’ami, la place où les choses doivent être ; la semence inépuisable, éternelle, toujours renouvelée ! Sorti à la fin de l’œuf d’or, comme le fœtus de sa membrane, je…

Il disparaît sans avoir le temps de finir sa phrase.
UN DIEU NOIR, avec un œil sur le front, un lotus à son cou et un triangle sous les pieds. Il a l’air triste.

Multiplier les Formes par elles-mêmes, ce n’est pas produire l’Être ? Quand je creuserais éternellement les puits de la Pagade, quand j’élèverais