Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
UNE DÉESSE, debout sur un globe d’argent, coiffée de fleurs d’où sortent des rayons, et revêtue d’une écharpe où sont peints des animaux. Un collier de diamants, qui fait trois tours à son col, passe sur ses poignets et se rattache à ses talons. De ses seins cerclés de bracelets d’or, il jaillit du lait.

De prairies en prairies, de sphères en sphères, de cieux en cieux, j’ai fui. Je suis pourtant la richesse des âmes, la sève des arbres, la couleur du lotus, le flot tiède, l’épi mur, la déesse aux longs sourires, qui bâille dans la gueule des vaches et se baigne dans la rosée.

Ah ! j’ai trop cueilli de fleurs, ma tête est étourdie.

Son voile s’envole. Elle court après.


Saint Antoine a passé le bras pour le saisir, mais apparaît :
UN DIEU tout bleu, à tête de sanglier, avec des boucles d’oreilles et tenant dans ses quatre mains un lotus, une conque, un cercle et un sceptre.

J’ai remis à flot la montagne noyée et, sur mon dos de tortue, j’ai porté le monde. De mes défenses j’ai éventré le géant. Je suis devenu lion, je suis devenu nain. J’ai été brahmane, guerrier, laboureur. Avec un soc de charrue, j’ai exterminé un monstre à mille bras, j’ai fait beaucoup de choses, des choses difficiles, prodigieuses ! Les créations passaient, moi je durais, et comme l’océan qui