Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
première version
LA LUXURE

Viens, viens ! je suis la vérité, la joie, l’éternel mouvement, la Vie même !

La Mort bâille, la Luxure sourit ; l’une fait claquer ses dents, l’autre retrousse sa robe.
ANTOINE se recule tout à coup et, les yeux levés, s’écrie :

Mais si vous mentiez toutes les deux ? s’il y avait, ô Mort, une autre vie, des douleurs derrière toi ? Et si j’allais, ô Luxure, trouver dans ta joie un autre néant plus sombre, un désespoir encore plus large ?

J’ai vu sur la face des moribonds comme un sourire d’immortalité, et tant de tristesse sur la lèvre des vivants que je ne sais laquelle de vous deux est la plus funèbre ou la meilleure Non !… non !

Et il reste immobile, fermant ses yeux avec ses mains et se bouchant les oreilles.


La Mort et la Luxure baissent la tête.
LE DIABLE se pince la lèvre, puis il se frappe le front, bondit sur saint Antoine, et, l’entraînant au fond de la scène, s’écrie :

Tiens ! regarde !