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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

toutes les gloires, comme un pasteur qui regarde paître son troupeau. Arrive donc ! tu me connais ! je te remplis ! Néant au dehors de toi ! néant au fond de toi ! Et il descend encore plus bas, — il tourbillonne à l’infini ! Le sarcophage dévore, la poussière se disperse, et j’absorberai le dernier grain qui en restera.

LA LUXURE

Il n’y a pas d’obstacle, ni de volonté que je ne brise, et, comme l’action est insuffisante au désir, je me déborde sur le rêve. Le religieux, au fond des cloîtres, voit passer sous les arcades, à la lueur de la lune, des formes de femmes nues qui lui tendent les bras. La vierge dans l’atrium soupire de ma langueur, et le matelot sur l’océan. J’ai d’irrésistibles hypocrisies avec des colères qui emportent tout. Je ravage la chasteté, j’enflamme la joie, et jusque dans l’amour heureux, je creuse des abîmes où tournoient d’autres amours.

LA MORT se rapproche de saint Antoine et, levant le bras dans une attitude altière, elle reprend :

Il entendait du haut de la croix les clameurs du peuple féroce qui s’apaisait au loin dans les rues. Son front saignait, son flanc coulait, un corbeau noir venait becqueter contre sa joue, la sanie de ses yeux caves, et ses cheveux secoués par l’oura-